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ELLE : Charlotte ARNOULD, cliente du cabinet, a porté plainte contre G. Depardieu pour viol.

En 2018, la jeune actrice a porté plainte contre Gérard Depardieu pour viols. Après la mise en examen de l'acteur et les témoignages recueillis par « Mediapart », elle parle pour la première fois.


La rencontre a lieu dans le cabinet de son avocate parisienne, Me Carine DURRIEU DIEBOLT, qui a défendu Sand Van Roy dans l'affaire Luc Besson. Assise au fond de la pièce auprès de sa meilleure amie venue la soutenir, Charlotte Arnould est fébrile. Depuis sa première plainte contre l'acteur Gérard Depardieu, qu'elle accuse de viols, c'est la première fois que la frêle jeune femme de 27 ans s'exprime dans la presse. Ce que l'on sait de « l'affaire Depardieu » jusqu'à présent vient de fuites dans les médias ou d'enquêtes journalistiques.


Le 7 août 2018, Charlotte Arnould, 22 ans, danseuse confirmée et actrice en devenir, se rend chez le géant du cinéma, qui est aussi un ami de longue date de ses parents. Ce dernier lui a proposé de la conseiller sur sa carrière. Mais, selon elle, rien ne se passe comme prévu à son domicile parisien : Gérard Depardieu – qui bénéficie de la présomption d'innocence et nie les faits – l'aurait ce jour-là violée, alors qu'elle souffre d'une anorexie grave et qu'elle n'a aucune expérience sexuelle. Une agression qui se serait reproduite quelques jours après, alors que la jeune femme lui rend visite une seconde fois sur son invitation pour, selon elle, se confronter à lui.


Deux semaines plus tard, elle porte plainte – qui fera l'objet d'un classement sans suite – puis, en décembre 2020, après qu'elle a porté plainte une nouvelle fois en se constituant partie civile, l'acteur est finalement mis en examen pour « agressions sexuelles » et « viols », la juge d'instruction faisant état « d'indices graves et concordants ». Aujourd'hui, forte des treize témoignages de femmes révélés le 11 avril dans l'enquête de Marine Turchi pour « Mediapart » et qui dénoncent les agissements de l'acteur sur les tournages – mains aux fesses, à l'entrejambe, tentatives de pénétration digitale, propos humiliants et sexistes, grognements –, Charlotte Arnould a décidé de sortir du silence pour faire entendre sa voix.

ELLE. Vous avez déposé plainte il y a cinq ans, c'est votre premier entretien à la presse, pourquoi parler aujourd'hui ? Charlotte Arnould. Parce que nous sommes nombreuses à le faire. J'ai ressenti un grand soulagement lors de la publication des témoignages dans « Mediapart ». Officiellement, je ne suis plus seule ! C'est triste d'en arriver là, mais ça donne aussi du poids à mon histoire et à mon dossier. J'ai ressenti beaucoup d'émotion en voyant ces femmes prendre la parole sur un plateau à visage découvert. Certaines ont dit : « On fait ça parce qu'on ne pouvait pas laisser Charlotte seule. » Il y a un truc de sororité très fort et très doux. C'est aussi une façon de reprendre le contrôle, même si je me sens encore perdue.

ELLE. C'est-à-dire ? C.A. Depuis cinq ans, j'ai toute une panoplie de symptômes très handicapants. Cette flamme que j'avais, cette envie de jouer, de dessiner, de danser, de jouer du piano… je ne sais plus vraiment comment la convoquer. Cette affaire a envahi mon existence. J'ai souvent pensé que ma vie était finie. Se reconstruire après ça, à 22 ans…

ELLE. Quels étaient les liens entre votre famille et Gérard Depardieu ? C.A. Mon père et lui se sont rencontrés en 1967. Il tenait un hôtel et Depardieu tournait un film à côté, il allait se restaurer chez lui et ils sont devenus amis. Depardieu m'a même prise dans ses bras quand j'étais bébé. Après, ils ont entretenu des liens très amicaux pendant très longtemps. Mon père allait sur les tournages, mes parents ont gardé ses enfants, Julie et Guillaume. Ils s'appelaient régulièrement, et moi, de temps en temps, mon père me le passait au téléphone. Il a toujours été très gentil. Je me souviens d'un coup de fil où il me disait : « Est-ce que tu aimes bien la glace au chocolat ? » C'était un ami de la famille. Il était au courant de mon anorexie. C'est même lui qui nous a conseillé un psychiatre. Il a suivi pas mal de choses de ma vie et est venu plusieurs fois quand on répétait « Passion », l'opéra mis en scène par Fanny Ardant.

« Qu'on me cite une jeune actrice qui s'est fait connaître grâce à une affaire de viol »

ELLE. Comment le considériez-vous ? C.A. Un peu comme un père spirituel. En danse classique, on a des petites mères et des petits pères, des mentors. J'avais demandé à Fanny Ardant si elle voulait bien être ma petite mère du théâtre. Et pour moi, Depardieu, c'était mon petit père du cinéma. J'étais admirative de l'acteur qu'il était. J'avais lu ses livres. Mon père en a toujours parlé avec tellement d'enthousiasme et l'estimait tellement. Pour lui, c'était « mon Gérard ». J'avais forcément confiance en lui.

ELLE. Avant les faits que vous dénoncez, quel avenir se dessinait pour vous ? C.A. Les choses commençaient à se mettre en place. Je suis allée à Paris pour faire le conservatoire de danse dans l'espoir d'intégrer par la suite une compagnie. Malheureusement, je souffrais d'anorexie et d'ostéoporose, et mon rhumatologue m'a dit que mon corps ne tiendrait pas à un rythme de huit heures par jour. Il fallait que je change de voie. Avant les faits, ma prof de danse me parle de « Passion », mis en scène par Fanny Ardant, avec la cantatrice Natalie Dessay. Ils cherchaient une jeune danseuse frêle pour interpréter son personnage jeune. Je suis choisie. J'étais confiante par rapport au regard que l'on portait sur moi.

ELLE. Quel genre de jeune fille étiez-vous à ce moment-là ? C.A. Très travailleuse, sérieuse, passionnée. Une jeune fille sage, avec plein de rêves artistiques. Et quand même très au service de l'anorexie.

ELLE. En 2018, quand vous vous rendez chez lui, à son invitation, étiez-vous vulnérable ? C.A. Physiquement et psychiquement, oui. Je suis alors en rechute, je pèse 37 kilos et je ne pense qu'à la nourriture et aux calories. Je vais chez lui le 7 août en espérant qu'il n'a pas préparé de petit déjeuner parce qu'il ne faut pas que je mange ni que je grossisse.

ELLE. Comment s'est passé votre dépôt de plainte ?

C.A. C'est une policière qui l'a enregistrée, à Lambesc. Le fait que je dénonce un acteur connu, c'était un peu l'événement. Je me sentais complètement déshumanisée. Ça créait une atmosphère glauque. Les choses ne se sont pas passées normalement : il y a eu une fuite dans la presse dès le lendemain. Je l'ai très mal vécu.

ELLE. Avez-vous eu peur parfois ? C.A. Oui, au début j'avais très peur de tous ses soutiens, russes notamment. J'avais peur d'être suivie, d'être empoisonnée ou tuée… C'était irrationnel, mais cela fait partie des symptômes d'un stress post-traumatique. Aujourd'hui, j'ai moins peur.

ELLE. C'est le soutien de vos proches qui vous a aidée à ce moment-là ? C.A. Ma mère a été très présente, elle était mon seul ancrage, même si elle-même allait très mal. J'ai également reçu le soutien précieux d'une autrice. Mais pour ma mère, ça a été le trop-plein. Elle n'allait déjà pas bien, ça l'a anéantie de me voir détruite. [Elle est, depuis, décédée, ndlr.]

ELLE. Votre première plainte a été classée sans suite en juin 2019. Comment l'avez-vous vécu ? C.A. Je me suis effondrée, je ne m'y attendais absolument pas. Quand on va porter plainte, c'est dans l'espoir d'être protégée, d'être crue. Heureusement, j'avais décroché un rôle dans une série, ça m'a aidée à mettre l'aspect judiciaire de côté. Mais, quelques mois après, ça a été plus fort que moi, je me suis portée partie civile. Il fallait que j'aille jusqu'au bout.

ELLE. Pour certains, le fait que vous soyez retournée une seconde fois chez l'acteur puis que vous lui ayez envoyé des textos discrédite votre parole. Que répondez-vous ? C.A. Ces symptômes sont la preuve de ce que j'ai subi, mais ils se sont retournés contre moi. Pourtant, on connaît les mécanismes de sidération, de dissociation, la mémoire traumatique. Moi-même, j'étais dans le déni : je savais que quelque chose de grave s'était passé, mais il a fallu deux semaines pour nommer les faits, ce qui est fréquent pour les victimes. C'était trop difficile à admettre.

ELLE. En décembre 2021, vous révélez votre identité sur Twitter. Quelles sont les raisons qui vous ont poussée à sortir de l'anonymat ? C.A. À ce moment-là, j'ai l'impression d'étouffer. On est trois ans après la plainte et pile un an après la mise en examen. Mais rien ne se passe : il continue à tourner, à être invité dans des émissions télé, à chanter Barbara pendant que je survis, que je suis invisible. J'étais très mal, il fallait que je prenne la parole pour dire : il y a une mise en examen et une vraie personne derrière cela. J'existe !

ELLE. Quelles ont été les réactions après la révélation de votre identité ? C.A. Mon entourage proche m'a soutenue. Dans le monde professionnel, c'était très frileux. Il y a une omerta énorme. À part Andréa Bescond, je n'ai aucun soutien public. Quelques personnalités ont bien liké ou repartagé mes posts, comme Aïssa Maïga, Judith Chemla, Elsa Wolinski… Flavie Flament m'a écrit. À ce moment-là, le soutien vient surtout des féministes. Je découvre ce monde car, avant tout ça, j'étais « endormie », je n'étais même pas au courant de Meetoo. Il y avait la danse classique, le théâtre et le piano dans ma vie. Je vivais dans une bulle.

ELLE. Gérard Depardieu a reçu de nombreux soutiens. Qu'avez-vous ressenti ? C.A. À Fanny Ardant, qui a parlé d'un « désenchantement amoureux » à mon sujet, j'aimerais dire : « On n'est pas dans un roman de Marguerite Duras, redescendez sur terre. » Sa réaction ne m'a pas étonnée. J'avais beaucoup d'amour pour cette femme et ce qu'elle m'a apporté, et ensuite beaucoup de colère.

ELLE. Et pour ceux qui suggèrent que vous faites votre publicité ? C.A. Qu'on me cite une jeune actrice qui s'est fait connaître grâce à une affaire de viol. Qui continue à travailler, qui gagne beaucoup d'argent…

ELLE. Dans les différents témoignages parus dans « Mediapart », on découvre un milieu du cinéma très complaisant. Cela vous a-t-il étonnée ? C.A. Malheureusement pas du tout, il n'y a pas de grandes surprises. Tous les puissants se soutiennent entre eux. Et puis, Depardieu, c'est comme le vin, le saucisson : c'est la France, on n'y touche pas. Sur les plateaux, il pète, il dit des horreurs, tout le monde rigole, un peu gêné… Il en impose, il en joue. Il est très charismatique et puissant. Donc, oui, ce n'est pas si évident de monter au créneau. Mais je n'excuse pas du tout les producteurs, les réalisateurs, les équipes qui ont permis ça et qui ont nourri le monstre.

« Il y a maintenant 13 témoignages connus, mais à mon avis on est bien en deçà de la réalité »

ELLE. Depuis, il y a eu les rebondissements de l'affaire Roman Polanski, celle des « Amandiers »… Avez-vous le sentiment que le cinéma français est enfin rattrapé par #MeToo ? C.A. J'aimerais, parce que mon histoire est celle de tellement de femmes ! Il y a toute une génération qui n'a plus envie de vivre ça. Je sens que quelque chose bouillonne. Je ne sais pas si ça va prendre, mais j'ai espoir.

ELLE. Qu'attendez-vous de la justice et d'un éventuel procès ? C.A. Je suis assez confiante. J'attends d'être reconnue en tant que victime et qu'il soit condamné. Mais de Depardieu, je n'attends rien, encore moins qu'il me demande pardon. J'aurais aimé être avertie de la dureté du combat judiciaire et du traitement des victimes, qui doit vraiment évoluer. Mais je suis déterminée.

ELLE. Espérez-vous que d'autres femmes témoignent, voire portent plainte ? C.A. Oui. Parmi celles qui ont parlé à Mediapart, il y en a pour qui les faits ne sont pas prescrits. J'espère que certaines seront prêtes à porter plainte. Il y a maintenant treize témoignages connus, mais à mon avis on est bien en deçà de la réalité. Avec sa filmographie, je ne serais pas étonnée. Marine Turchi dit que depuis l'enquête, elle a continué à recevoir des témoignages. Ce n'est que le début.

Si vous souhaitez apporter votre soutien à Charlotte Arnould ou que vous voulez prendre la parole sur le sujet, vous pouvez nous contacter à l'adresse suivante : community@elle.fr.




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